Restent donc les sols. «Avec la réduction des émissions, ils offrent, à ce jour, le moyen le plus cohérent et rapide de lutte contre le changement climatique. Ils pourraient contribuer, sur les trois prochaines décennies, à amortir la problématique de l’excès d’émission de gaz à effet de serre des êtres humains», estime Pascal Boivin, agronome à la Haute Ecole du paysage, d’ingénierie et d’architecture (HEPIA) de Genève et président de l’European Confederation of Soil Science Societies.
Sols épuisés
Bien que ce processus de stockage de CO2 soit naturel, il n’est efficace que lorsque le sol est sain. En effet, ce mécanisme comprend plusieurs étapes qui dépendent tant de l’état de la végétation que de celui de la biodiversité. Premièrement, les feuilles stockent du carbone quand elles poussent. Lorsqu’elles tombent au sol, elles subissent une dégradation par les bactéries, microbes et autres vers de terre.
Dès les années 50, le système a demandé à l’agriculture de produire toujours plus pour toujours moins cher. Les terres ont été exploitées avec des engins de plus en plus lourds et des labours profonds. La perte en matière organique a été compensée par des apports en engrais de synthèse.
François Füllemann, pédologue et responsable des sols à la direction générale de l’environnement de l’Etat de Vaud
Cette phase de décomposition de la matière végétale condense les molécules de carbone, qui finissent par se lier aux argiles du sol et à la matière minérale pour former l’humus. «Un sol de qualité est un sol suffisamment riche en matière organique, donc en humus. Il possède une bonne fertilité, des capacités d’épuration et de filtration des eaux et est peu sujet à l’érosion», explique l’agronome.
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De nombreux sols sur la Terre sont aujourd’hui déficitaires en carbone. Un état de fait directement lié aux pratiques agricoles intensives qui les épuisent, brûlant leur matière organique et limitant leur capacité naturelle à stocker le CO2. En effet, la récolte des cultures limite l’apport en matière végétale sujette à la décomposition, et donc la formation d’humus. «Dès les années 50, le système a demandé à l’agriculture de produire toujours plus pour toujours moins cher. Les terres ont été exploitées avec des engins de plus en plus lourds et des labours profonds. La perte en matière organique a été compensée par des apports en engrais de synthèse», relève François Füllemann, pédologue et responsable des sols à la direction générale de l’environnement de l’Etat de Vaud. En Suisse, un rapport de l’Office fédéral de l’environnement publié fin 2017 atteste que la quasi-totalité des sols cultivés sont déficitaires en carbone.
Une solution ignorée
Pourtant, des solutions existent. Selon l’initiative «4 pour 1000» lancée lors de la COP21, un taux de croissance annuel du stock de carbone dans les sols de 0,4% permettrait de retirer de l’atmosphère l’équivalent du surplus de CO2 émis par les activités humaines. Pour ce faire, plusieurs recommandations sont données: ne jamais laisser un sol sans couverture végétale, utiliser des techniques de labour moins invasives ou encore favoriser l’apport en matière organique, soit en carbone, avec du compost par exemple.
En faisant évoluer les sols agricoles genevois vers une qualité minimale, ceux-ci offriront une possibilité de stockage de 600 000 tonnes d’équivalent CO2.
Pascal Boivin, agronome à la Haute Ecole du paysage, d’ingénierie et d’architecture (HEPIA) de Genève
Cette approche est considérée avec intérêt en Suisse, notamment par le canton de Genève, dans le cadre de son Plan climat 2030, visant à réduire de 1,7 million de tonnes les émissions de carbone. «En faisant évoluer les sols agricoles genevois vers une qualité minimale, ceux-ci offriront une possibilité de stockage de 600 000 tonnes d’équivalent CO2, ce qui représente 35% des objectifs du Plan climat genevois», dit Pascal Boivin. Dans le canton de Vaud, les surfaces agricoles représentent plus de la moitié du territoire et leur capacité d’action pourrait être majeure…
Comment expliquer que cette solution prometteuse demeure largement ignorée? «La perception des sols est très peu émotionnelle et le problème méconnu du public. Les solutions impliquent toute la chaîne de production, des pratiques agricoles en passant par l’acceptation du véritable coût de production d’un aliment de qualité, une condition nécessaire pour donner aux agriculteurs les moyens d’exploiter la terre de manière durable», indique François Füllemann. Et les experts de conclure que l’agriculture durable peut offrir tout à la fois une stratégie pour la préservation des sols, le climat et la souveraineté alimentaire.
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